Fore !

Aleshea Harris / Arnaud Meunier

L’École de la Comédie de Saint-Étienne – California Institute of the Arts (CalArts), Los Angeles

 
CalArts

Atelier d’interprétation
du lun. 3 au samedi 29 oct.

Atelier-spectacle
du lun. 3 au lun. 24 avr.

Présentation du dernier workshop
du mar. 25 au sam. 29 avr.

Un projet franco-américain

Le projet Fore ! est né d’une étroite collaboration entre le Californian Institute of the Arts associé au Center for New Performances à Los Angeles et La Comédie de Saint-Étienne (Centre dramatique national et École supérieure d’art dramatique).

Quand Travis Preston m’a invité à créer un projet avec CalArts, il m’a immédiatement mis au défi d’inventer une aventure atypique, quelque chose que je ne pourrai pas faire habituellement en France. Afin de nous libérer encore mieux des traditionnelles contraintes de production, il m’a également incité à morceler le temps de travail en plusieurs workshops afin de protéger les temps de recherche.

En me rendant à Los Angeles en février 2015 et en affinant mes intuitions, quatre envies – axes de travail – se sont alors dégagées :
+ définir un territoire, un sujet de recherche qui puisse concerner les deux pays, les deux publics.
+ travailler avec une jeune auteure américaine. Ne pas être dans l’import/export d’oeuvres existantes. Inventer.
+ former un groupe de recherche comprenant dix jeunes acteurs, de jeunes concepteurs (lumières, vidéo, son, scénographie etc…), une auteure et moi.
+ affirmer l’aspect international du projet car tous ces jeunes artistes viennent des quatre coins du monde (France, États-Unis, Italie, Hong Kong, Philippines, Taïwan, Turquie…).

Une ambition grecque

À la manière de Pier Paolo Pasolini, je recherche et apprécie un théâtre qui touche à l’universel et où le poétique puisse rejoindre le politique… Un théâtre qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses ; une dramaturgie au présent qui interpelle, où le spectateur est en position active, en réflexion.
Refaire de nous tous une agora démocratique, renouer avec une volonté athénienne : un théâtre sans surplomb qui ne dirait pas ce qu’il faut penser, qui ne se placerait pas au-dessus de ses contemporains mais qui, tout au contraire, emploierait un nous salvateur : voilà un projet excitant !

Vint alors la question, fil rouge, de tout le projet : qu’est-ce qui fait de nous une société ? What makes us a society ?

Dans la France d’après les attentats contre Charlie Hebdo et le supermarché Kacher, difficile de ne pas se reposer la question du sens de notre travail artistique et de ce que peut le théâtre face à la barbarie. J’arrivais à Los Angeles juste quelques semaines après. Notre Premier Ministre parlait alors d’ « apartheid » pour parler du sentiment de relégation en banlieue et je ne pouvais qu’être frappé par les affiches des étudiants américains interpellant nos consciences dans les couloirs de CalArts : Black Lives Matter avec la photo de Michael Brown, le jeune homme Noir tué à Ferguson…
Que l’on fasse le lien ou non entre les deux événements, je me suis dit qu’il y avait là, sans aucun doute, un sujet de recherche à explorer au plateau. Qu’est ce qui fait notre sentiment d’appartenance à un pays, à un groupe, à une société ? Qu’est-ce donc que ce fameux vivre ensemble dont on nous parle tant et qui nous paraît si flou ? Où en sommes-nous, dans un monde connecté et mondialisé, avec nos valeurs, nos identités, nos démocraties ?

Un processus d’écriture au plateau

N’étant pas auteur, il m’apparaissait évident qu’il fallait m’adjoindre une autre artiste qui pourrait écrire à partir de nos multiples recherches au plateau.

Aleshea Harris est ce que les américains appellent a young African American playwright. C’est à dire qu’elle est Noire et qu’elle écrit. Les français ne diraient jamais cela comme ça. Les statistiques ethniques sont prohibées chez nous et nous préférons parler, avec pudeur, de diversité.

En avril 2013, lors de ma première visite à CalArts, Aleshea présentait ses travaux d’écriture (elle était alors étudiante) et avec Fabien Spillmann, nous avons été frappés par la force, l’acuité et la poésie de ce qu’elle nomme spoken word, et que nous aurions, nous, sans doute basiquement rapproché du Slam. Nous l’avons alors invitée à Saint-Étienne où elle est venue deux fois en résidence pour y écrire une pièce pour nos élèves : Coyote comes. La singularité de sa langue et de son univers m’a tout naturellement mené à poursuivre ma complicité artistique avec elle.

Aleshea Harris vient tout juste de remporter le prestigieux prix The Relentless Award, délivré par The American Playwright Foundation pour sa pièce Is God Is.

Une recherche en étapes

En mars 2016, nous avons effectué un premier workshop (2 semaines à Saint-Étienne, 2 semaines à Los Angeles) qui s’est révélé passionnant.

À partir d’improvisations où les comédiens, les concepteurs artistiques (lumière, son, vidéo, scénographie…), Aleshea et moi étions ensemble, nous avons interrogé nos souvenirs du 11 septembre 2001 en les liant avec nos réactions aux attentats de 2015 en France. Nous avons travaillé sur ce que cela signifiait que d’être américain, français ; sur nos peurs, nos espoirs ; le sens de nos valeurs, de nos couleurs communes (bleu, blanc, rouge), sur nos récits nationaux. Nous avons réinventé une tour de Babel où toutes les langues se mélangeaient. Nous avons relu les textes de Jean Genet sur les Black Panthers, ceux de Georges Perec sur Ellis Island ; découvert Between the world and me de Ta-Nehisi Coates et sa préface par Alain Mabanckou (devenu depuis professeur au Collège de France).

Beaucoup d’images, de premiers récits, de premières sensations ont commencé à prendre forme. Avec beaucoup de grâce, de délicatesse mais aussi de force et d’intimité. The personal is political est devenu pour nous une sorte de devise. Les jeunes artistes venus d’horizons et de pays très différents se sont impliqués très personnellement et très fortement en livrant beaucoup d’eux-mêmes. La puissance qui s’est dégagée du mélange de l’intime avec le récit ou la fiction m’est alors apparue comme un axe fort du projet.

Une nouvelle Orestie

En octobre 2016, nous avons effectué un deuxième workshop de quatre semaines à Los Angeles pour resserrer notre périmètre de recherche et bâtir notre structure dramaturgique.
Progressivement, des morceaux de fable sont apparus à partir d’une adaptation libre de l’Orestie.

Aleshea a réussi à trouver la piste d’une forme théâtrale très ouverte qui permet beaucoup de jeu pour les acteurs et des interprétations multiples et complémentaires de ce que l’on voit ; une manière toujours personnelle de rendre sensible et active la confusion impuissante que nous ressentons face à nos peurs, notre sensation que le monde nous échappe, notre désir de repli et de sécurité, notre incompréhension.
À travers les figures d’Oreste, d’Agamemnon et de Clytemnestre bousculées ici par l’apparition de personnages inconnus, comme cette mystérieuse Jackie qu’Oreste veut présenter à ses parents et qui vomira un flot de sang avant même de pouvoir articuler quelques mots, Aleshea a su trouver et construire des personnages-écran sur lesquels nous projetons nos propres questions à la manière d’un choeur antique.

En jouant sur la démultiplication des acteurs pour le même personnage ou sur un théâtre de sensations étranges où le calme apparent d’une famille ordinaire peut soudainement basculer dans la sauvagerie complète, nous avons cherché à donner corps à cet état d’urgence permanent qui est devenu notre quotidien, à cette guerre invisible et pourtant omniprésente devenue un virus dangereux transformant chacun d’entre nous en potentiel soldat.

L’Orestie, non pas comme simple histoire à réécrire différemment aujourd’hui, mais plutôt comme paysage, comme contexte global en somme s’est révélée être un champ d’écriture et d’exploration très riche et très intense pour Fore !.

Fore ! n’est donc pas une pièce ordinaire avec une histoire et des personnages mais bien un projet de groupe où de jeunes artistes cherchent à parler ensemble de ce qui les traverse, de leurs interrogations face à l’état de nos sociétés, de nos démocraties, de nos espoirs. Un groupe qui cherche à repousser la peur et à voir nos contradictions comme une chance, une particularité très humaine, une occasion d’appréhender l’altérité.

Fore ! cherche du sensible plus que de l’analyse formelle ; du mouvement plus que du « prêt à penser ». Nous voulons offrir différentes perspectives sensibles et drôles, différents points de vue. Car, ah oui !, la profondeur n’y sera pas synonyme d’ennui ou de pesanteur. Fore ! n’est pas un projet sinistre et défaitiste mais plutôt une tentative de rebond portée par la vitalité de la jeunesse !
En somme, Fore ! est un voyage. Un voyage entre les frontières du rêve et de la réalité – ce rêve qui peut aussi se faire cauchemar parfois – où le point de vue sera plusieurs fois remis à zéro : je pense notamment à Rashomon de Kurosawa ; à Jackie Brown de Tarentino ou dans un tout autre genre à Smoking / No Smoking de Resnais.
Pour le troisième workshop d’avril 2017 (qui sera notre dernière étape de recherche avant la création en février 2018 à La Comédie), j’ai demandé à Aleshea de développer cette pièce paysage qui sera notre matériau principal d’improvisations avec les acteurs.

Ce dernier workshop a renforcé ma conviction que la métaphore, le déplacement poétique, l’invention théâtrale seront toujours plus forts que la frontalité et le didactisme. Aleshea Harris, sans le savoir, est une enfant d’Aimé Césaire et de Pier Paolo Pasolini et c’est passionnant !

Arnaud Meunier, novembre 2016

Arnaud Meunier

En janvier 2011, Arnaud Meunier a pris la direction de La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national et de son École Supérieure d’Art Dramatique. Il y développe un nouveau projet où la création et la transmission sont intimement liées. Le dialogue des esthétiques et des générations, le renouvellement des écritures scéniques, la découverte de nouveaux auteurs, la présence au quotidien des artistes, l’ouverture et le partage du Théâtre aux populations les plus larges et les plus variées sont les axes forts du projet qu’il met en œuvre.

Diplômé de Sciences Politiques, il commence une formation de comédien, puis fonde en 1997 la Compagnie de la Mauvaise Graine. Très vite repérée par la presse et les professionnels lors du festival d’Avignon 1998, sa compagnie est accueillie en résidence au Forum du Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis et soutenue par le Théâtre Gérard Philipe (sous la direction de Stanislas Nordey).

La compagnie y développe son travail de création sur des auteurs contemporains. Elle sera par la suite en résidence à la Maison de la Culture d’Amiens, puis associée à la Comédie de Reims et au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Fidèle à son attachement aux auteurs vivants, Arnaud Meunier poursuit un compagnonnage avec l’œuvre des auteurs qu’il affectionne, montant plusieurs pièces de Pier Paolo Pasolini, Eddy Pallaro, Michel Vinaver, Oriza Hirata et Stefano Massini.

De ce dernier, Arnaud Meunier mettra notamment en scène Chapitres de la chute, Saga des Lehman Brothers, spectacle qui recevra le Grand prix du Syndicat de la critique 2014, après sa nomination aux Molières. Parallèlement, il travaille également pour l’Opéra en tant que metteur en scène ou dramaturge.

Trilingue (Français, Allemand, Anglais), il a travaillé au Japon, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Algérie, en Italie, en Autriche, en Angleterre, en Norvège, au Maroc, aux Émirats arabes unis, en Chine et aux États-Unis.

Aleshea Harris

Aleshea Harris est une auteure de théâtre, comédienne et poétesse (dont la spécialité est le poème parlé), qui a obtenu cette année sa maîtrise en écriture dramatique au California Institute of the Arts (CalArts). Son travail théâtral a été présenté au festival off d’Orlando, au festival off d’Édimbourg, à la freeFall Theatre Company, à CalArts, à l’atelier costumes de l’American Conservatory Theater de San Francisco et au VOXfest de Dartmouth et à L’École de la Comédie de Saint-Étienne, centre dramatique national. Sa pièce, Road Kill Giant, figure sur la liste des Kilroys, liste qui recense les trois cent meilleures nouvelles pièces par des femmes.

Son œuvre poétique a été présentée à l’occasion de divers événements artistiques tels que le colloque CalArts’s Tedx au RedCat Theater ou le festival de slam Southern Fried Poetry Slam (où elle a été classée deuxième en 2013) on peut aussi la découvrir dans le film God of the Ground , lors de La Fête du livre à La Comédie de Saint-Étienne et dans la prochaine version du film Oddlie, dont la sortie est prévue en 2015.

Aleshea Harris a enseigné l’écriture dramatique et la poésie orale dans le cadre d’un partenariat mis en place avec CalArts et dédié à l’Art Communautaire. Elle a également donné des cours à l’Institut Marcia P. Hoffman des Arts de la Scène, au Royal Theater Boys and Girls Club, au Youth Arts Corps et au Conservatoire Patel. Elle vient de se voir confier un poste de professeur titulaire à CalArts.

Avec des élèves de 3e année (promotion 27) de L’École de la Comédie et des élèves-comédien(ne)s de CalArts
Preston Butler III, Valentin Clerc, Margaux Desailly, Luca Fiorello, Cordelia Istel, Mattew Kelly, Cemre Salur, Guillaume Trotignon, Maybie Vareilles, Reggie Yip

Sous la direction de Arnaud Meunier

  • Assistante à la mise en scène Pauline Panassenko,
  • scénographie Carlo Maghirang
  • lumière Alexander Freer
  • son Daniel Gower
  • vidéo Eugene Yen
  • costumes Angela Trivino
  • avec le soutien à la traduction de Christine et Kenneth Casler
  • décor et costumes California Institute of Arts (Los Angeles)

Workshop #1 avec Arnaud Meunier, Aleshea Harris et Alexandra Badea, fév. 2016
Crédit photo© Valérie Borgy

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