Je vais être parrain de la promotion 33 de L’École Comédie de Saint-Étienne. C’est à dire que je serais complice pendant trois ans de l’épanouissement de leur art, et de leurs personnes au sein de la Comédie. L’art de l’acteur.rice n’a jamais été aussi multiple. Et intéressant à pratiquer. Parce que depuis plusieurs années nous assistons à des révolutions dans les arts de la scène. Des bouleversements que je souhaitais ardemment quand j’étais élève au cours Florent puis au CNSAD. Et j’avais à cette époque pour unique réponse à ces iniquités : « parce que c’est comme ça ».
La parité, et, l’accompagnant de fait, la fin du sexisme comme paradigme et moteur de scène. Metoo#theatre, fruit d’un travail de courageuses, garanti désormais un environnement serein d’apprentissage, et de jeu. « Safe » de tout abus de pouvoir. La diversité, une représentation juste des personnes racisées ou stigmatisées en France. Nous venons de loin. Il était grand temps. Et enfin, une juste part de création contemporaine dans les théâtres, qu’elle soit signées ou collaboratives.
Il y a des choses que j’entends depuis quelques années sur la transmission qui ne me semble pas juste. Celle du refus du texte. Que les jeunes artistes ne voudraient plus « interpréter ».
Cela fait plus de 13 ans que je pratique la transmission dans des écoles nationales, et je ne l’ai jamais remarqué. Des difficultés, certes. Des désaccords parfois avec certains aspects de l’écriture classique, comme de l’écriture contemporaine, (qui nécessitent leur part égal de travail). La différence est que nous ne pouvons plus nous passer de réflexion dans la manière de construire des passerelles entre l’acteur.rice et le texte. Nous devons constamment les réinventer. Pour que l’acteur.rice y puise son épanouissement et sa part de création. Car c’est bien cela qui est réclamé. Ce désir-là qui est exprimé, et nous devons bien sûr l’écouter comme promesse de créativité.
Cette rencontre avec l’inconnu-texte ne se fait pas tout seul. Cela représente un travail insensé. Des couches et des multicouches, des passes, et des multi-passes, pour rendre le texte vivant, sur le fil du rasoir, transcendant, fulgurant, présent, en invention, en partage. Il est impossible en trois ans de parcourir toutes les dramaturgies, ni toutes ses formes. Elles sont, au théâtre, infinies, et peut être au final plus nombreuses que les recettes de cuisine du monde entier. Mais il est possible de donner une idée du possible. Par l’interrogation du texte. Par une interrogation assidue de notre époque, de ce que nous vivons. Par des improvisations, des angles d’approche, des grilles de lecture. Par de la technique, « des » techniques, multiples indispensables, de la voix au corps, du mouvement à la parole, de la rythmique, au chant. Par de l’écriture aussi. Car pour moi l’acteur.rice doit passer par là. Non pas pour devenir soi-même auteur.rice, mais pour comprendre le/les processus qui se nichent derrière l’écriture, afin de toucher du doigt ce que disait Claude Régy, que je paraphrase très approximativement ici, « être le bruissement, la friction, entre le stylo et la page blanche. »
Et s’il ne devait rester que l’invention, une dernière bataille rangée du théâtre contre l’abrutissement du monde, nous devons, dans la transmission, suggérer des pistes pour que l’acteur le stylo et la page ne fasse qu’un.
Gérard Watkins