François Bégaudeau / Benoît Lambert
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Théâtre Dijon Bourgogne – Salle Jacques Forniersam. 24 mai / 15 h La Comédie de Saint-Étienne – L’Usinejeu. 5 juin / 20 h Renseignements et réservations La Colline, Théâtre national – Petit Théâtrejeu. 12 juin / 20 h 30 Renseignements et réservations Durée estimée |
La Grande Histoire : c’est la pièce écrite spécialement par François Bégaudeau pour les élèves de la promotion 25 de L’École de la Comédie de Saint-Étienne. Dans une suite de scènes de la vie quotidienne, l’auteur d’Entre les murs dresse un passionnant portrait de groupe en pleine Seconde Guerre mondiale. Déplaçant le point de vue, il interroge ce qu’il reste de l’ordinaire des vies lorsque celles-ci sont frappées par le souffle de la « grande histoire ». Menée par un(e) maître(sse) de cérémonie sarcastique et inquiétant(e), cette pièce chorale entraîne ses douze jeunes interprètes dans un périple intime et surprenant au cœur de la grande tragédie du XXe siècle. Benoît Lambert est le parrain de cette vingt-cinquième promotion : il a suivi leurs trois années de formation et met aujourd’hui en scène « ses » élèves dans cette Grande Histoire, leur spectacle de « sortie ». |
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distribution::
avec les élèves de 3e année (promotion 25) de L’École de la Comédie
Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Yoann Gasiorowski, Itto Mehdaoui, Simon Pineau, Rémy Rancon, Aurélie Reinhorn, Lisa Robert, Camille Roy, Paul Schirck, Martin Sève, Martynas Tiskus
texte François Bégaudeau
mise en scène Benoît Lambert
scénographie et lumières Antoine Franchet
régie générale Samuel Babouillard
costumes Ouria Dahmani-Khouhli
régie plateau et accessoires Florent Gauthier
production L’École de la Comédie de Saint-Étienne – École supérieure d’art dramatique
coproduction La Comédie de Saint-Étienne – CDN, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, DRAC Rhône-Alpes, Région Rhône-Alpes, Ville de Saint-Étienne
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note d’intention::
Lorsque j’ai hérité du privilège d’écrire une pièce pour la promotion 25 de L’École de la Comédie de Saint-Étienne, l’idée réflexe a été de partir d’eux, et par exemple de leur jeunesse. Mais l’âge, qu’en déduire de substantiel ? De quoi sont faites les « préoccupations » qu’on prête, communément, à une génération donnée ? Et d’abord que désigne-t-on par génération ? Comme on sait, les spéculations générales ne résistent pas deux minutes à la fréquentation des individus.
Ceux-là ont vingt-cinq ans, et un peu marre qu’on les appréhende comme jeunes, jeunes comédiens, apprentis comédiens. Est-ce qu’à cet âge j’aurais aimé qu’on me dise que j’étais un apprenti punk-rocker ? Ou un apprenti critique de cinéma ? Est-ce que je me reconnaissais des préoccupations communes avec les gens de mon âge ? Est-ce que je me sentais une quelconque affinité avec un jeune socialiste fan de Portishead ? Poser les questions c’est y répondre.
Nous allions donc écrire, mettre en scène et jouer une pièce de théâtre. Pas plus que cela, mais pas moins. Nous allions partir de données théâtrales, et donc de contraintes. La nécessité d’une partition, aussi équitable que possible, pour douze comédiens, m’a fait envisager deux options opposées : dispositif choral avec présence permanente de tous sur le plateau, ou découpage par scènes avec personnages définis. Comme j’avais pratiqué la première avec les six comédiens de Cécile Backès pour J’ai vingt ans, qu’est-ce qui m’attend, ou encore avec Non-réconciliés, j’ai eu envie de renverser la donne. Ainsi s’est profilée une pièce narrative, dont la structure regarderait autant vers le théâtre classique, voire académique, que vers le feuilleton.
C’est dans le creuset de cette forme qu’est venue se couler l’Occupation – avec majuscule.
La pièce pouvait alors se rêver comme une expérience. Plongeons douze corps contemporains dans le grand bain de l’Histoire, dans le bain de la Grande Histoire, distribuons-les dans les rôles que la profusion de récits sur cette période, livresques ou visuels, a figé en types – l’Officier allemand, le Résistant lyrique, le Résistant cynique, la Patronne de bar qui a tout vécu, l’Artiste non-aligné, le Français qui ne veut pas d’histoires etc. – et voyons ce que ça donne. Voyons comment des vivants, qu’ils aient 23 ans ou 49, s’accommodent de ces costumes amidonnés. Voyons ce que la vie fait à la lettre morte de l’Histoire.
Voyons surtout à quel point les corps de comédiens résistent – s’il est question de résistance ici, c’est d’abord dans ce sens – à leur dissolution dans les cases figées de l’imaginaire collectif. Un écart peut-il être maintenu ?
Dans cet écart s’engouffre une question moins directement théâtrale, même si le théâtre en est à la fois l’outil et le support : qu’est-ce, au juste, qu’une période historique ? Plus précisément : jusqu’à quel point les contemporains d’une période historiquement dense sont-ils agis par elle ? Jusqu’à quel point un citoyen lambda de 1789 est présent à la Révolution ?
Si quelques situations de La Grande Histoire posent la question de l’engagement d’un point de vue classiquement moral, la pièce entend se tenir à un niveau plus psychologique, plus existentiel, plus technique. Non pas : dois-je m’engager, mais : suis-je forcément engagé ? Est-il possible, fin 41 à Orléans, d’avoir la tête à toute autre chose qu’à ce qui fera la matière des livres d’Histoire ? On dira « les Français sous l’Occupation », mais que signifie ce « sous » ? Signifie-t-il que l’Histoire est une chape qui recouvre tout ? Les Français d’alors se vécurent-ils tous comme « sous l’Occupation » ? Articulèrent-ils constamment leurs pensées et leurs actes à cette donnée simple et assurément contraignante : mon pays est défait et occupé ?
A cette question une réponse négative n’est pas forcément juste ; elle a néanmoins le mérite d’être plus rare dans le champ des discours, a fortiori dans le consensuel historicentrisme français. Soumise au dilemme transhistorique de garder ou non l’enfant qu’elle a dans le ventre, Chantal se fiche pas mal de ce qui se joue sur la grande scène. Sur la petite scène, domestique et privée, où elle nage entre deux hommes, pas de Pétain qui tienne. Si ce n’est, bien sûr, via la législation familialiste de Vichy, intransigeante avec l’avortement. Mais précisément ceci est une autre histoire. Sous le nom imposant d’Histoire grouille une multiplicité d’histoires, un foisonnement complexe d’appréhensions subjectives de la situation commune. Servie par sa structure plurielle, La Grande Histoire questionne, outre l’Histoire elle-même et le trouble prestige de cette faucheuse, l’articulation entre petits récits et Grand Récit, et, par incidence, entre théâtre de l’ordinaire et théâtre tragique.
La plupart des fictions costumées sur la seconde guerre postulent qu’un Français lambda de 1941-42 est un sujet historique. Et si cet individu se tient à distance de la Grande Scène, le tribunal mémoriel l’écrouera dans la case qu’on sait, avec des degrés dans l’incrimination : collaboration passive, lâcheté ordinaire, etc. Il ne s’agit pas de réviser ce verdict, comme certaine littérature réactionnaire s’est plu à le faire, excusant les saloperies de quelques-uns par la veulerie de tous. Il s’agit, à distance de la morale, de questionner cette idée de Godard, lumineuse et opaque comme du Godard, qu’il y aurait une solitude de l’Histoire. Que son bruit et sa fureur seraient des sifflements d’obus volant très au-dessus de la terre ferme où vivent, comme leurs corps et le froid et la faim le leur permettent, les gens.
François Bégaudeau
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